Texte de la Société d’histoire, écrit par Monique Gaudreau, paru dans l’Éveil du Citoyen de mars 2017
Pour débuter le tout, je précise que les souvenirs que je partage avec vous aujourd’hui évoquent ma plus tendre enfance, et ce, jusque vers mes 12 ou 13 ans.
En novembre 1940, j’ai la chance de naître à un endroit où il fait bon vivre, car notre maison est située au confluent de la rivière au Saumon et de la Saint-François. Comme j’aime ces moments où, assise, les pieds pendants sur le bord de la galerie, je regarde l’eau couler ou simplement entendre au loin le ronronnement de moteur du bateau de la drave qui s’en vient et voir les draveurs, ces hommes forts, habiles, courir et sauter d’un billot à l’autre… et ce, sans tomber ni se mouiller!
Mais voilà que, déjà, l’hiver arrive à nos portes et, avec la nature, il transforme tout à fait le décor. Oui, il y a bien quelques canards et certaines espèces d’oiseaux qui flottent au vent, des volées d’outardes qui fuient en courant vers le sud et, en février, à chaque année, nous surveillons notre loutre… Oui, un doux temps s’en vient; est-ce que nous allons la voir encore une autre fois sortir de son trou?
Auparavant, mon père, Hector Gaudreau, et ma mère, Julienne Després, se sont mariés en novembre 1939. Ils sont propriétaires de la ferme que mon grand-père, hormidas Gaudreau, a transmis à son fils. Il possédait aussi une glacière sur les bords du lac Memphrémagog située là où les villageois et les touristes marchent allègrement aujourd’hui sur la plage de la pointe Merry à Magog. Dès le début des années 40, mon père riche de l’expérience de son paternel, met tout en oeuvre pour, lui aussi, faire le commerce de la glace à Weedon.
Hector Gaudreau commence par construire, à environ un arpent de la grange, vers le pont Victoria, une très grande glacière, sorte de hangar dont tous les murs sont en bois et, fait à remarquer, sans toiture parce que lorsqu’il pleut, le bran de scie humide favorise la conservation de la glace. Maintenant, c’est décidé, le site pour la coupe de la glace est un peu plus haut, assez près du bord de la rivière Saint-François, situé aux environs de là où il y a eu des recherches en archéologie dans les années 2010. Mon père établit donc un périmètre plus sécuritaire pour les travailleurs et, en même temps, où la glace est assez épaisse pour supporter la charge des chevaux avec les “sleighs”. Dès la mi-janvier, il commence à mesurer l’épaisseur de la glace, et, enfin, vers le milieu de février, nous en avons pour environ trois semaines à couper, à charger et à transporter des blocs. Pour scier la glace, il se sert d’une scie ronde actionnée par un engin à essence de même qu’un godendart, selon le besoin, et les pinces à glace de même qu’un pic à manche très long qui peuvent être aussi très utiles. Pour charger les blocs, on compte sur toute une équipe pour effectuer les travaux; certains travaillent sur la galce, comme Henri-Paul Fontaine, ce monsieur que je suis allée rencontrer il y a quelques années déjà et qui a ravivé mes souvenirs sur ce sujet; il m’a même raconté que son frère, Alcide Fontaine, avait pris un bain forcé, (je ne m’en souvenais pas). Mon oncle Clément Després, Doria Vallières, Sarto Mercier et Rolland Grégoire travaillaient aussi pour mon père à conduire les chevaux, à couper et à pousser la glace.
Deux “teams” de chevaux tirent les “sleighs” pour acheminer au bâtiment les blocs d’environ quatre (4) pieds de long par deux (2) pieds de large et d’au moins une quinzaine de pouces de haut; on les empile les uns sur les autres en prenant soin d’étendre une bonne couche de bran de scie entre chaque rangée. Pour la première, il faut laisser un plus grand espace entre chaque bloc; il ne faut pas non plus trop les coller sur le mur. Nous devions bien en avoir au moins trois rangées et, pour terminer, sur le dessus, on ajoute une “couple” de pieds de sciure de bois.
Lorsque l’été arrive, papa, en plus du travail de la ferme, s’occupe d’aller livrer des blocs de glace au village; moi, je me souviens que, rendus vers les années 50, nous avons un camion et nous allons au village; nous faisons le tour des chemins de chalets du lac Louise et nous nous rendons jusqu’à la Batoche de l’autre côté de Saint-Gérard. Lorsque mon père est absent, mon frère Gérard et moi, nous vendons de la glace; bien sûr, papa prenait soin de découper à l’avance un gros bloc en morceaux de 0.50$ et de 0.25$.
Vers 1953, les réfrigérateurs sont enplace et, pour nous, c’est la fin du commerce dela glace.
Monique Gaudreau,
Société d’Histoire de Weedon